Marché des arts visuels

L’art de se passer des galeries 

Réseaux sociaux, blogues spécialisés, galeries virtuelles : le web est en train de changer l’univers des arts visuels. « Avant, les artistes allaient vers les galeries, qui avaient le quasi-monopole sur les listes d’acheteurs, soutient le collectionneur Jean-Pascal Fournier. 

« Maintenant, certains artistes vivent à temps plein grâce à la visibilité offerte sur Internet. » En plus d’avoir accès aux symposiums, aux festivals en province et aux événements spéciaux, de nombreux artistes exposent leurs oeuvres dans les restaurants, les bars et les cafés. 

« Les conditions ne sont pas optimales, dit M. Fournier en critiquant crûment l'éclairage de ces lieux, mais plusieurs se font connaître comme ça. Ce n’est pas réellement dommageable pour la crédibilité, mais après un certain temps, il faut passer à un autre niveau. » 

Décover Magazine

Parmi les revues spécialisées en arts visuels au Québec, notons Décover Magazine, fondé par l’artiste Étienne Martin et l’infographiste Micah Lockhart. Lancé en septembre 2009, le magazine ouvre ses pages à dix artistes par numéro : tant les figures de proue de l’art underground que les artistes récoltant la faveur du milieu institutionnel. « On choisit les artistes qui nous font triper, selon les portfolios qu’on reçoit, lance Cédric Taillon, directeur des communications du magazine. On a déjà publié un artiste qui présentait sa première collection aux côtés d’une superstar comme Corno. » 

Même si les membres de l’équipe de Décover Magazine ne se sont pas offert de salaire depuis le début de l’aventure, ils continuent de s’investir corps et âme pour faire honneur au bouillonnement des arts visuels québécois. « Plusieurs acheteurs potentiels ne sont pratiquement pas au courant de la scène vibrante des créateurs d’ici, lance M. Taillon. Les galeries se concentrent sur des valeurs sûres et ne présentent pas ce qui pourrait plaire aux jeunes générations. Les symposiums sont un peu vieux jeu. Les médias ne parlent pratiquement pas d’arts visuels. Résultat : les jeunes, qui ne sont pas tous intéressés par l’art décoratif et les paysages accrochés aux murs de leurs parents, ne savent pas à quel point le Québec fourmille d’artistes ! » 

Sandra Chevrier, l’indépendante 

Depuis qu’elle a lancé sa série Cage super héros en février 2013, Sandra Chevrier a vendu 200 œuvres, en se passant complètement du support d’une galerie. « J’ai déjà fait affaire avec une galerie par le passé et je suis partie, raconte-t-elle. J’ai l’habitude de gérer mes choses et je me sentais limitée dans mon parcours. » 

Il y a quelques mois, le collectionneur Jean-Pascal Fournier a suggéré à l’artiste de tenter sa chance dans le monde virtuel. « En voyant sa nouvelle série, je lui ai dit que je pouvais l’aider à vendre à l’extérieur du Québec, explique M. Fournier. J’ai affiché cinq œuvres dans ma communauté virtuelle d’acheteurs, et en 45 minutes, j’en avais vendu deux en Angleterre, deux aux États-Unis et une en France. Je lui ai ensuite proposé un partenariat. » 

Ouverture d’une galerie virtuelle, bouche-à-oreille chez les collectionneurs, hausse significative des « fans » sur Facebook, le succès de Chevrier de cesse de grandir. En plus de faire 100 % des profits, l’artiste est désormais courtisée par des galeries qui veulent la représenter, sans lui imposer d’exclusivité. 

Au cours de la prochaine année, des expositions sont prévues à Long Beach, San Francisco, Los Angeles, Las Vegas et en Norvège. Alliant le dessin, la peinture et le collage, la série Cage super héros marie l’art urbain, l’iconographie et le pop art. « Je voulais représenter le fardeau des femmes qui s’imposent d’être des supers-mamans et des super-travailleuses tous les jours, explique cette mère monoparentale de 30 ans. Les hommes apprécient beaucoup le côté bande-dessinée de mon travail, alors que plusieurs filles se sentent interpellées par les visages féminins qui crient à l’aide, avec une bouche et des yeux masqués. » 

En plus des 200 acheteurs potentiels qui attendent un canevas signé Chevrier, les expositions à venir imposeront à la jeune femme une somme de travail monumentale. « Je vais travailler en fou pour les deux prochaines années, et j’espère ne pas me sentir comme une machine ! J’explore différentes nuances à partir des mêmes modèles, mais je veux que chaque œuvre soit unique. Idéalement, je ne travaillerai pas au même rythme pour les 60 prochaines années, ajoute-t-elle. Un jour, j’aimerais que mon statut me permette de choisir deux expositions par année, avec six mois pour la production, au lieu d’enchainer les toiles pour que mon travail soit reconnu partout. » 

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